samedi 16 novembre 2013

La route pour Kampot


Vendredi 25/11/2013

De Saigon, je prends le premier bus pour le Cambodge. Un objectif sportif justifie mon déplacement : je me suis inscrit au premier semi-marathon qui doit avoir lieu sur le plateau du Bokor le dimanche 27/11/2013…

Deux heures de route : la frontière, les casinos glauques. Deux heures encore et c’est la traversée du Mékong avec ses vendeurs d’insectes, de coquillages, d’œufs de cailles ; les voyageurs sont de bons clients, ils sortent leurs billets. De mon côté, j’ai plutôt des hauts- le-cœur. Le bac est emprunté par les deux roues chargés de cochons et de volailles vivantes et  les véhicules bourrés à craquer de tout et n’importe quoi… A chacun de mes passages sur cette route, ces scènes insolites m’ont marquées. Les nomades assis en groupes sur les toits des mini vans semblent toutefois en voie de disparition…


 Phnom Penh, enfin… Changement de bus… Une route sublime, des rizières d’un vert luminescent, des îlots de palmiers et des maisons sur pilotis aux couleurs vives.


Puis, un grand rond-point, avec, en son centre, un durian géant : c’est l’arrivée à Kampot au terme d’une une dizaine d’heures de route.


Je trouve assez facilement une guest house pas chère et parcours les quais, avec un vélo emprunté pour une petite heure, retrouvant un peu mes marques par rapport à ma venue précédente. Je m’arrête devant une fête foraine, devant une fête de mariage. Je dine de quelques brochettes devant le marché en devisant intérieurement sur les ressemblances entre Kampot et Battambang…

 
 
 
 
 

Kep


Samedi 26/11/2013

Le jour se lève sous une averse. Je loue une moto et achète une cape de pluie pour prendre la direction de Kep, via les marais salants. La saison ne se prête pas à la collecte du sel, les bassins sont vides, mais quelques travailleuses s’activent à l’entretien des marais. Je traverse quelques villages, chams, si l’on se fie à la présence des mosquées à la pratique méticuleuse de l’islam des femmes. Elles sont  quasiment toutes voilées, leurs fillettes aussi. Passons. Par une piste, je me rends vers la grotte de Phnom Chhnork. Le soleil, perçant, dévoile dans le paysage de nouvelles couleurs, de nouveaux contrastes. Un guide m’invite à le suivre dans une grotte qui n’est pas celle que je voulais visiter, mais malin, il ne me le fait savoir que plus tard… La visite vaut néanmoins le coup, elle est un peu sportive, il faut ramper, escalader des parois humides, ce que ce jeune homme parvient parfaitement à faire en tongs, moi, plus fastidieusement… Nous visitons ensuite la vraie grotte de Phnom Chhrnork à l’intérieur de laquelle un petit temple pré angkorien a été érigé, parfaitement conservé. Dans la grotte, le jeune homme me montre dans les stalactites des queues de crocodiles, des têtes d’éléphants, ou de lions, des corps de femmes… Dehors, les hommes du village sont réunis pour regarder un match de boxe dans un petit restaurant avec chaises en plastiques, les bières sont posées sur la table, des Angkor Beer.


 


 Contre toute attente, la route vers Kep qui était en bon état est revenue à un état de piste poussiéreuse, probablement dans l’optique d’un élargissement. En arrivant, la carcasse de l’ancien lycée semble avoir disparu. Plus loin, l’une des anciennes maisons -criblée de balles-de Sihanouk, telle une ambassade, est entourée d’une muraille. De nombreux baigneurs barbotent à la plage qui fait face au marché aux crabes ; les vendeurs des sodas haranguent les promeneurs avec leurs boissons aux couleurs acidulées… Petite ambiance balnéaire bien agréable. Après une pause, je circule dans les allées aux villas cossues qui témoignent  encore de l’âge d’or de cette station au début du siècle. Aujourd’hui, elles sont abandonnées aux vaches, aux varans et à leur photogénie. Les branches d’arbres sortent par les fenêtres comme dans des temples khmers.





De retour à Kampot, je croise, courant à la tombée de la nuit deux coureurs bien affutés. Cela tombe bien, car je ne sais toujours pas au juste à quelle heure commencera le semi-marathon du Bokor auquel je me suis inscrit pour le lendemain. Les interrogeant, ils me disent qu’ils participeront, eux aussi, et que le départ est à 6 heures du matin. Curieux… ça fait vraiment très tôt. Il faudrait que je me lève au moins à 4 heures. Je les laisse courir à leur bon rythme sans insister. Je me demande au passage s’ils ont vraiment raison de courir ainsi, la veille au soir. Je ne savais pas encore à qui je venais de parler !

Par chance une affiche faisant la promotion de l’événement donnait deux numéros de téléphone que j’appelais. On m’apprit dit que le départ était prévu à 7h35. Pas 7h30, non ! 7h35 ! Précision étonnante que je fis répéter. Il me fallait néanmoins partir tôt, le plateau étant à une quarantaine de kilomètre et 1000 mètres d’altitude.

 

Sur le Bokor


Dimanche 27/11/2013

5h. Réveil et  réveil du gardien qui, au rez de chaussée, doit m’ouvrir. Pleine nuit, pleins phares, c’est parti pour le Bokor ! Au bout de 10 km, au pied de l’ascension, me voici rejoint par 4 motards, dont certains portent des vestes de survêtement « Cambodia ». Je les suis dans le brouillard de plus en plus épais, bien content d’avoir pensé à enfiler mon poncho « sac poubelle ». La lumière s’éclaircit, mais mon niveau d’essence, décline de façon inquiétante dans cette montée. Dans le rouge, j’accélère, ce qui est absurde puisque cela me fait consommer plus. Il reste encore plus de 20 km à faire…  Finalement, au lever du jour, nous arrivons au Thansur Bokor Hotel & Casino qui organise cette course. Je retire mon dossard, une puce est prévue pour le chronométrage ; l’événement semble bien préparé !

En attendant le départ, je fais un petit tour dans le lobby du casino-hôtel, bien kitsch, digne de Macao. A 7 heures, les parieurs sont déjà sur les tables de jeux, dans une ambiance sordide où les croupières en talons aiguille portent des minijupes si courtes qu’elles marchent les mains croisées sur les fesses pour faire écran ! Au milieu de la principale salle de jeu, sur la moquette rouge, une Honda est à gagner !

7h30. Les coureurs se pressent sur la ligne de départ. Je jauge le niveau des autres compétiteurs à leurs tenues, leurs chaussures, aux galbes de leurs jambes. Nous sommes une bonne quarantaine, avec une bonne moitié de cambodgiens qui ne savent peut-être pas trop dans quelle galère ils se sont embarqués : bermuda, chemisette burberry’s, pieds nus dans leurs chaussures à semelles de 5 mm pour les uns, tenue de foot et crampons moulés pour d’autres, sans parler de ceux qui se présentent sans chaussures !

Tout le monde est chaud, les organisateurs avaient organisé un échauffement en improvisant une piste de danse et en mettant Gangnam style à fond ; ambiance garantie !

3, 2, 1 c’est parti ! Les plus mal chaussés se jettent avec furie aux avant-postes, confirmant à mes yeux leur manque de lucidité sur l’effort à fournir. Je les rattrape et les laisse derrière moi au 3ème kilomètre. Je boucle finalement mon affaire en 1h 45, finissant 11ème. Les deux premiers sont justement les deux cambodgiens croisés hier. Ils décrochent la même médaille que moi, en plus grosse. Le nom du vainqueur : Hem Bunting. Un champion aguerri qui participa à deux championnats du monde d’athlétisme et qui fut le porte-drapeau de la délégation cambodgienne aux Jeux Olympiques de Pékin, où il disputa le marathon ! La classe mondiale quoi !

 

  
 


Suite du programme sur le Bokor après la course : la visite de la vieille église, aperçue sur le parcours du semi-marathon. Au milieu des éléments minéraux et de la végétation, elle ressemble à une petite église de Toscane. Sur un promontoire, un improbable groupe venu d’on ne sait où chante des airs negro spiritual. Autour d’eux, le brouillard épais fait écran au panorama sur forêt en contre bas.


Non loin de là, l’épave du Bokor Palace impose sa silhouette art déco. Par rapport aux photos que je lui connaissais, il a été gratté et enduit. Il ressemble désormais à un chantier interrompu par la crise économique. Son pouvoir d’évocation a perdu en force, c’est dommage.

Après un repas bien mérité au buffet du Thansur Hotel-Casino, pour 9$, ce qui n’est pas cher mais qui ne vaut pas plus, j’entreprends le retour vers Kampot inquiet à propos de mon niveau d’essence, n’ayant pas aperçu de station-service proche. Je rentre, contrarié au point de descendre les côtes en coupant le moteur jusqu’au monumental Bouddha  situé à 10km en contrebas et au pied duquel des vendeuses me fourniront, à un prix exorbitant, 1L d’essence conditionnée, comme le veut la tradition, dans une bouteille d’episcopal.

Je vagabonde alors autour de quelques villas proches abandonnées, dont l’une aurait appartenu, encore une fois, à Sihanouk. Avec leurs terrasses panoramiques elles ont un petit air méditerranéen quand chantent, comme c’est les cas ce jour-là, les cigales, au milieu de la pinède et des cactus !

Le cerveau bien oxygéné, je repars euphorique regrettant presque d’avoir trouvé de l’essence - ma curiosité n’étant plus piquée de savoir si j’avais pu descendre le plateau et atteindre la station Sokimex au pied du Bokor sans avoir à pousser la moto !
 
 

Phnom Penh


Lundi 28/11/2013

Par un bus de la compagnie Sorya, je retourne à Phnom Penh. Peu scrupuleux de l’itinéraire, je me rends assez vite compte que le bus fera un détour par Kep avant de prendre la direction de la capitale. En soi, ce n’est pas bien grave malgré les travaux sur la route. Ce que j’ignorais, c’était que la réfection de la route, réduite à l’état de piste poussiéreuse, s’étendrait sur plus de 100km. Durée de la balade : 5 heures…


Arrivé sur les coups de 14h à Phnom Penh et après installation à l’hôtel réservé la veille, je négociais la location d’un scooter pour effectuer une visite qui me tenait à cœur dans ce séjour. Si le Cambodge m’avais la première fois laissé un souvenir douloureux, et au fond déplu, j’ai souvent éprouvé un désir d’y retourner, comme si j’avais moi-même un doute sur les raisons de cette désaffection ; un besoin de mieux cerner ce pays. La lecture récente de la biographie de Sihanouk par Jean Marie Cambacérès, la lecture du Portail de François Bizot (après 5 ans de procrastination), après celle de Kampuchéa de Philippe Deville, m’ont décidé à faire un pas de plus, un peu plus éclairé. Tous ces ouvrages, brillants, documentés et sincères détaillent les rouages, les caractères des protagonistes des années noires. Je voulu donc me rendre au centre de détention S21, Tuol Sleng, le musée du génocide cambodgien, cet ancien lycée, dans lequel furent détenus, interrogés et torturés sous la direction de Douch près de 13000 prisonniers. Je ne m’étais jamais, lors de mes précédents venues, décidé à visité ce lieu de mémoire, craignant ce par quoi je fus frappé dès mon entrée : un profond malaise. Les salles d’interrogatoires, les lits, les chaines, les potences, la lecture du règlement… C’est terrible… Puis ce sont les photos : la joie des citadins, puis la peur, les gamins sortis des foret avec leur kalachnikovs, qui prennent le contrôle de tout, les marches forcées, les travaux forcés, pendant que Pol Pot et ses acolytes posent cyniquement devant leur Mercedes noire, bien utile, pour ceux-là même qui érigeaient ce type de bien comme facteur de dépravation.  Des photos encore, par centaines, les visages de prisonniers de S21, les répliques de leur biographies qu’ils devaient rédiger. Les représentations par les  survivants des scènes de tortures, la vision insoutenable des cellules…

  


Plus tard passant devant le monument de l’indépendance. Je découvre alors une nouveauté : une statue monumentale de Sihanouk. Une façon de sceller la fin des décennies marquée par celui qui a garanti l’indépendance du Cambodge tout en le métastasant ?

 

Tournant dans la ville, en fin d’après-midi autour de l’ambassade de France, du Wat Phnom, du Raffles, de la poste centrale, je pose un œil observateur sur la nouvelle tour Vattanac, en forme de dragon, le nouveau centre financier de Phnom Penh qui devait être inauguré en 2012. Hélas, j’ai bien l’impression que les travaux n’ont pas avancé beaucoup depuis ma dernière venue !

La nuit tombe enfin, la ville dépourvue d’éclairage public devient ténébreuse, je rends la moto pour déambuler sur le quai Sisowat, haut en couleur, avec ses cours de danses rythmés par une musique très Tunning , ses matchs de foot improvisés et ses vendeurs d’insectes grillés…